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EXCLURE  A  DE  L'ALLURE...  OU  COMMENT  SE  PARLER  ?

 

 

      Un bulletin (1), c'est pratique, cela sert Ă  se faire passer des nouvelles, une sorte de "cahier" d'Ă©changes. On peut penser que tout groupe humain, constituĂ© autour d'un thème commun (ici la pratique clinique de la psychothĂ©rapie) et qui ne se trouve pas constamment rassemblĂ©, ce qui reste frĂ©quent, est en droit d'avoir quelque satisfaction Ă  trouver un moyen de se transmettre des articles, commentaires ou tĂ©moignages. C'est un lien dont la poursuite reflète sans doute les aspirations du groupe dont il est question.

 

      Enfin je dis "lien", le terme n'est pas tout Ă  fait exact. Il s'agirait plutĂ´t d'un symbole de ce lien en parlant du bulletin. A quoi sert un journal sinon Ă  se constituer et Ă  faire exister une sorte d'attente ou mĂŞme d'espoir : celle de la rencontre avec l'autre ? A ce moment, nous parlerons du lien, celui qui se crĂ©e ou celui qui se renouvelle, s'entretient, se continue en ce sens qu'il s'ouvre au temps intĂ©rieur et relationnel. On n'accomplit pas cette opĂ©ration, celle de la rencontre, par l’intermĂ©diaire d'un papier, quand bien mĂŞme adressĂ© par Internet. Trop facile, et trop incomplet. La rencontre en tant que telle, c'est-Ă -dire en direct, amène certes Ă  l'Ă©change de messages, d'informations, comme c'est le cas avec un journal, mais cette rencontre dans la rĂ©alitĂ©, cette "rĂ©alitĂ©" que nous construisons alors, amène aussi au remaniement de nos propres reprĂ©sentations - en cela il s'agit d'informations au sens prĂ©cis de la thĂ©orie de la communication,  d'informations  qui  produisent  des  effets  sur  nos  ressentis  ou  nos comportements (2). Comment accepter la dimension de la rencontre, la dimension de la diffĂ©rence de l'autre, tout en restant soi-mĂŞme, sans passer par ce remaniement de nos images internes ?... Notre inscription dans le champ de la rencontre, pour, prĂ©cisĂ©ment, que celle-ci fasse rencontre, passe par ce dĂ©roulement.

 

      En acceptant cette dimension, en acceptant de la travailler et qu'elle nous travaille (mouvement, remaniement et mĂŞme crĂ©ation de nos modèles internes et reprĂ©sentations psychiques Ă  l'Ă©preuve de la relation), nous pouvons alors accĂ©der Ă  un espace de transmission : le moment de l'Ă©change et de ce qu'il est possible de partager avec l'autre. Il s'inscrit dans une reconnaissance mutuelle oĂą la place de chacun devient validĂ©e par l'autre (je reconnais ta place, ce qui m'amène Ă  voir en toi la reconnaissance de la mienne). Pour le formuler d'une manière autre, il s'agit d'un modèle de communication non violente, une culture de la diffĂ©rence qui paradoxalement passe par la conflictualisation (non le conflit durable), et avec l'autre avec qui nous le disputons au cours de l'Ă©change, le dĂ©bat, et en soi avec le remaniement de nos reprĂ©sentations comme nous l'avons dĂ©jĂ  mentionnĂ©. Les deux sphères d'ailleurs, l'autre en tant que relation et soi, vont nĂ©cessairement ensemble, se co-construisent.

 

      Cette conflictualisation se constitue peut-ĂŞtre comme une capacitĂ© (cependant pas un acquis) mais aussi tel un exercice : conflictualiser avec l'autre puis en soi puis Ă  nouveau avec l'autre... pour se dĂ©gager prĂ©cisĂ©ment du conflit et parvenir Ă  s'entendre, au sens premier du terme, avec l'inscription de chacun Ă  sa juste place, de façon complĂ©mentaire celle oĂą je trouve la mienne en reconnaissant celle de l'autre. Pas de relation (sauf totalement rigidifiĂ©e) qui Ă©viterait cela. Aucun couple ne l'Ă©vite non plus, ni aucun groupe ou aucune famille... Et si l'on considère notre propre groupe professionnel de rĂ©fĂ©rence, il n'y a pas vraiment de raison sĂ©rieuse Ă  penser que la famille "psy" en soit dispensĂ©e, pas davantage que les personnes ayant suivi une psychothĂ©rapie ; et ce, quelles que soient les orientations des psychothĂ©rapeutes, qui ne sont exclus ni de ces processus-lĂ  ni d'autres dont ils parlent.

 

      Bien sĂ»r si cette conflictualisation et ces remaniements internes sont par trop pĂ©nibles, consciemment ou inconsciemment, il reste toujours l'option de rejeter l'autre, ou de se rejeter soi-mĂŞme hors du lien. Entre autres choses cela amène momentanĂ©ment une contenance superficielle, donne une sorte de "pseudo-allant" : exclure a de l'allure... Pour peu que l'on croise alors quelques autres dans une semblable rĂ©action, on se sent confortĂ©, presque dans un comportement type groupe religieux : il n'y a plus besoin de se parler... on se relie par la dĂ©fiance Ă  l'autre ou aux autres diffĂ©rents, on se comprend ! et tellement bien, au travers de la rĂ©pĂ©tition d'un rituel Ă  caractère projectif, d'autant puissant que ses fonctions essentielles demeurent inconscientes.

 

      Revenons Ă  notre prĂ©occupation première, il s'agit de parvenir Ă  crĂ©er et Ă  activer une spirale des Ă©changes, au sens le plus concret, pragmatique et dynamique. Cela s'inscrit donc dans un mouvement, qui se renouvelle, et lui-mĂŞme basĂ© sur la comprĂ©hension, non la vĂ©ritĂ©. Il n'y a pas lieu, Ă  terme, de dĂ©gager une pensĂ©e identique ou un acte identique... au mieux, presque pour plus tard en relisant le parcours du groupe, nous pourrons songer Ă  une position, une posture commune : celle de l'interrogation, du questionnement, pourquoi pas du doute en cela qu'il contribue Ă  mobiliser les forces actives de notre pensĂ©e. Dans cette perspective, nous sommes  toujours  un  peu  "en chantier". Peut-on  soutenir  que  ce  "chantier"  perpĂ©tue  le  lien

social ?... au travers du respect des différences, de l'entretien d'une culture commune par les contributions de chacun, par la transmission enfin et la responsabilité que tout un chacun y a avec l'accession à un "langage adulte" (3)... En somme, quelque chose d'autre que les tiraillements hostiles amplifiant les risques d'exclusion.

 

      Au passage d'ailleurs, de manière paradoxale, l'exclusion du lien social ne reflète pas tant la rupture avec un groupe autre, celui Ă  qui l'on s'oppose, hostile, rival ou rĂ©pertoriĂ© dans une vĂ©ritĂ© incompatible. Cela se voit telle une chance pour l'Ă©volution ou comme une fatalitĂ©, mais l'exclusion du lien social et les dangers (psychiques) qu'elle reprĂ©sente reste ultimement rĂ©fĂ©rencĂ©e Ă  son propre système d'appartenance. C'est d'avec les nĂ´tres que la rupture rĂ©sonne dans nos peurs les plus profondes. Englobant de la sorte les diverses manifestations qu'elle peut revĂŞtir, du rejet, de l'abandon, de la condamnation ou de l'indiffĂ©rence.

 

      Il nous apparaĂ®t nĂ©cessairement que c'est au fil du dĂ©bat, lieu d'Ă©change et de recherche, que nous construisons un lien social par visĂ©e non violent et, possiblement, une rencontre. Alors celle-ci peut nourrir la crĂ©ativitĂ©, celle du lien comme celle de la vie intĂ©rieure propre Ă  chacun...

 

                                                                                        Olivier TRIOULLIER

 

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 (1) : texte repris, paru en Ă©ditorial de Cahier Spirale n°10, bulletin de l'Association Spirale, fĂ©vrier 2010.

(2) : voir le livre de base de P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la communication, Seuil, 1972.

(3) : au sens oĂą Michael Balint l'employait (cf. Michael Balint, Le dĂ©faut fondamental, Payot, 1971).

 

 

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LES  COMPORTEMENTS  D'HOSTILITE  EN  FAMILLE  ET  EN  GROUPE

SONT-ILS  DES  SIGNES  D'UN  DEREGLEMENT  SOCIAL  ?

 

 

      Pour la seconde fois, l'association Spirale proposait le 7 juin dernier (1) une journĂ©e d'Ă©change clinique sur le thème ci-dessus, assorti de deux sous-titres : "Violences reçues, violences transmises, violences rendues" et "La crĂ©ativitĂ© relationnelle peut-elle s'apprendre ?". Ce travail en groupe s'est rĂ©vĂ©lĂ© d'une grande qualitĂ©, Ă  la fois par les quatre prĂ©sentations rĂ©alisĂ©es - dont vous trouverez les articles dans ce numĂ©ro du bulletin - et par les rĂ©flexions qu'elles ont suscitĂ©es pour les participants. L'ensemble a finalement nourri plusieurs dĂ©bats engagĂ©s et dynamiques, dont on peut penser que les professionnels en retirent quelque chose pour soutenir ou construire leurs pratiques... Etrange contraste avec le nombre rĂ©duit de psychothĂ©rapeutes en libĂ©ral prĂ©sents, alors qu'ils ne sont pourtant pas en dehors de ces questionnements cliniques et sociaux.

 

      Par les temps qui courent, tournĂ©s Ă  la bouc Ă©missarisation, l'art du dĂ©bat deviendrait-il effrayant pour certains de nos collègues ? D'autant plus sur le thème choisi ensemble pour cette annĂ©e... "Les comportements d'hostilitĂ©" dites-vous ?... Ou comment un thème portant sur la discorde pourrait-il devenir crĂ©ateur de lien ? Eh bien, en se fixant non sur l'exclusion de l'autre ou sa caricature, mais en travaillant sur l'acceptation des influences rĂ©ciproques, sur le comment refondre nos opinions et mĂŞme, pourquoi pas, nos positions. S'il devait y avoir un leitmotiv, nous en proposerions plutĂ´t deux : on pense mieux Ă  plusieurs qu'Ă  un seul ; et : Ă©voluer est plus intĂ©ressant que d'avoir raison.

 

      Pour une journĂ©e "d'Ă©change", ce n'est pas anodin. A plusieurs reprises dans ses ouvrages, Michel Foucault rappelle l'hĂ©ritage que l'on a retrouvĂ© dans le traitement de la folie au cours des siècles (2) : le principe mĂŞme qui avait Ă©tĂ© utilisĂ© Ă  l'Ă©poque moyenâgeuse de la lèpre, exclure pour guĂ©rir. Les professionnels de la psychothĂ©rapie ou de la relation d'aide sont rĂ©gulièrement stigmatisĂ©s, pour ne pas le dire des consultants ou clients qu'ils rencontrent, ce qui cache bien sĂ»r des incomprĂ©hensions profondes des processus psychiques et relationnels de la part de ceux si prompts Ă  vouloir en maĂ®triser les alĂ©as. Ainsi, consciemment ou pas, aucun acte n'Ă©chappe Ă  une idĂ©e qui le prĂ©side, et dĂ©signer comme problème une personne ou une population donnĂ©e cherche Ă  maintenir des Ă©quilibres relationnels, mĂŞme dysfonctionnels, tout en renforçant un pouvoir.

 

      Parlant des dĂ©règlements sociaux, des comparaisons s'imposent Ă  nous de façon brute : par exemple le prix de journĂ©e de l'institution pĂ©nitenciaire, pour des adolescents, des mineurs au sens de la justice, s'affiche jusqu'au double du prix quotidien d'accueil d'un mĂŞme jeune dans une institution Ă©ducative. Comment ne pas voir qu'il ne s'agit en aucun cas d'efficacitĂ© ? Ni Ă©conomique d'Ă©vidence, ni sociale puisque l'on sait combien la prison coupe des autres... pas seulement lors du dĂ©lai oĂą elle s'applique. Il y a donc une idĂ©e qui active une telle rĂ©alisation : soit il s'agit d'Ă©duquer et d'aider (quand l'Ă©ducation n'a pu avoir lieu dans le milieu d'origine), soit il s'agit de punir. C'est ce dernier cas pour les condamnations des "mineurs" Ă  cet enfermement... OĂą est Ă  ce moment-lĂ  ce qui serait juste ?

 

      Le mĂŞme Michel Foucault avait caractĂ©risĂ© quatre manières de punir (3). Enfermer (la prison telle que nous la connaissons en est le modèle final), exclure (genre bannissement) ou marquer (la peine, alors physique, la torture publique, se voyait, souvent pour la vie quand il y avait une suite). La quatrième manière dont parlait cet auteur portait sur l'organisation du rachat, c'est-Ă -dire une sanction, dans un rapport au moins thĂ©orique avec l'acte commis, permettant Ă  celui l'ayant accompli de retrouver une place dans le lien social en rĂ©parant. A y regarder avec attention, nous comprenons en quoi les trois premières façons frappent la personne, tandis que seule la sanction traite de l'acte. Evidemment, pour des professionnels de la relation, de la relation d'aide, thĂ©rapeutique, pour des professionnels du travail clinique, cette distinction nous intĂ©resse : comment ne pas rĂ©duire quelqu'un Ă  son acte ? Comment laisser une place au sujet, et comment se laisser la possibilitĂ© de penser en quoi un contexte donnĂ© peut amener Ă  un acte ou Ă  un comportement particulier ? Comment prendre en compte les dimensions inconscientes, tant celles d'une personne en particulier que celles de la communication humaine, sans nĂ©gliger la responsabilitĂ© de chacun, sans caricaturer non plus un membre du groupe au travers d'une posture unique ? Nous voilĂ  au coeur de notre travail et des interrogations qui le soutiennent.

 

                                                                                        Olivier TRIOULLIER

 

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(1) : texte repris, ouverture d'une journée d'échange clinique proposée par l'Association Spirale, le 7 juin 2011, à Pau, paru en éditorial de Cahier Spirale n° 13, bulletin de l'Association, octobre 2011.

(2) : notamment : Michel Foucault, Histoire de la folie Ă  l'âge classique, Gallimard, 1972.

(3) : Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard, 1975.

 

 

 

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