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REFLEXIONS  SUR  L'ENTREE  EN  PSYCHOTHERAPIE

 

ET  SES  RAPPORTS  AVEC  LA  DOULEUR

 

 

      La psychothĂ©rapie est comme un chemin. Elle est une promenade intĂ©rieure qui peut conduire Ă  un paysage reposant, doux pour la rĂŞverie, assez concret pour se sentir exister dans ce qui fait le sens de la vie, dans la relation ou le rapport Ă  soi ainsi que dans la relation Ă  l'autre et aux autres. Cependant ce chemin, comme toute promenade, connaĂ®t quelques croisements. Parfois le chemin suivi s'avère difficile, caillouteux, pas commode Ă  frĂ©quenter, il peut aussi nous entraĂ®ner en des endroits sinon imprĂ©vus du moins imprĂ©visibles quant aux forces qu'ils vont requĂ©rir pour leur passage, inattendus. On peut ne plus savoir oĂą l'on est, avoir besoin de repartir en arrière pour parvenir Ă  mieux s'orienter. S'il est peu d'espaces infranchissables, nous aurons toutefois Ă  savoir qu'ils existent, et que certains d'entre eux mĂ©riteront qu'on les contourne afin de les respecter et d'inclure le sens de ses propres limites.

 

      Il ne me paraĂ®t pas probant de ne pas prĂ©venir un minimum celui ou celle qui dĂ©sire se lancer dans cette aventure. La dĂ©couverte des motions psychiques inconscientes, la mise Ă  jour des schĂ©mas relationnels qui nous constituent, qui nous font souffrir Ă  l'occasion tout en mĂŞme temps que nous contribuons Ă  leur activation, cette dĂ©couverte et cette mise Ă  jour, pour bĂ©nĂ©fiques qu'elles soient, n'en constituent pas moins une aventure effective. Ce n'est pas comme des vacances (oĂą l'on se repose), ni comme un film au cinĂ©ma (oĂą l'on peut toujours se retirer - Ă©motionnellement - au fond de son fauteuil), ni comme de pratiquer un sport dit "Ă  risque" (oĂą le risque est justement parfaitement reprĂ©sentable Ă  l'avance).

 

       Et certes il y a lieu, d'une certaine façon, d'encourager, de maintenir quelque chose au cours de cet acompagnement. Mais cela frĂ´lerait la tromperie que de laisser croire en trop de facilitĂ© ou trop d'instantanĂ©s rĂ©sultats, de laisser confondre le passage d'une Ă©tape et l'aboutissement vers un Ă©quilibre bĂ©nĂ©fique - confusion du fond et de la forme, de la dĂ©couverte et du changement. Cela deviendrait aussi un mĂ©pris du positionnement de celui ou celle qui veut changer, qui veut Ă©voluer, se dĂ©velopper. Cela ne tiendrait pas compte encore du courage prĂ©cisĂ©ment de la dĂ©cision prise, que ce soit celle d'engager un travail psychothĂ©rapique... ou mĂŞme parfois celle de l'ajourner en attendant d'autres possibles. Il y a lieu, mĂŞme par bonne volontĂ©, de ne pas ĂŞtre dans la position de priver l'autre de son courage, ou paradoxalement de sa dĂ©cision d'ajourner ou de repousser. Soigner n'est pas convaincre, et convaincre n'est pas guĂ©rir. 

 

      Pourquoi ces questions se trouvent-elles au centre des premières sĂ©ances dans un processus psychothĂ©rapique ? La vie de personne ne dĂ©bute au moment d'entrer dans le cabinet d'un psychothĂ©rapeute, au-delĂ  de toutes les orientations thĂ©oriques de celui-ci et quelle que soit la mĂ©thode ou l'approche pratiquĂ©es. Pour le consultant, nombreuses sont les solutions dĂ©jĂ  tentĂ©es par le passĂ© pour essayer de rĂ©gler ses difficultĂ©s, ou leurs difficultĂ©s lorsqu'il s'agit d'un couple ou d'une famille. Ces tentatives d'auto-solution, souvent fonctionnelles Ă  certaines pĂ©riodes, ne sont pas sans consĂ©quence sur les dimensions internes de la douleur, de la sorte que celle-ci se rĂ©vèle Ă  un double niveau : celui-lĂ  mĂŞme qui avait prĂ©sidĂ© Ă  la souffrance première, selon le fait, le trauma(-tisme) Ă  la source du symptĂ´me d'origine, et celui de la douleur d'avoir Ă©chouĂ© Ă  traiter spontanĂ©ment cette souffrance, cette douleur qui se surajoute, parfois jusqu'Ă  se confondre avec la première, l'ensevelissant d'une montagne de culpabilitĂ© qui, par un renversement du sens psychique, viendra ultimement justifier la difficultĂ© initiale ("C'est normal que cela me soit arrivĂ©... puisque je ne vaux rien, n'Ă©tant pas seulement capable de me dĂ©barasser tout seul des problèmes qui m'arrivent.").

 

      La douleur concerne ce qui s'est passĂ©, et cela suffit Ă  occuper bien du temps intĂ©rieur dans une vie, car nous ne manquons pas de quelques occasions sĂ©rieuses de souffrir. La particularitĂ© de notre perception autour de cet Ă©tat (entre autres par anticipation) dĂ©termine une partie de notre condition humaine. L'angoisse, elle, se rapporte au "traitement" qui s'accomplit d'une manière ou d'une autre, fut-ce par la rĂ©pression des affects. C'est lĂ  que le traumatisme (en tant que tel) va pouvoir s'ancrer, en somme devenir une constituante de la vie psychique.

 

      Ce n'est pas tant le fait qu'il y a lieu "d'accepter" Ă  ce moment de l'entrĂ©e en psychothĂ©rapie, mais l'angoisse qui est ressentie Ă  son abord. Difficile de se contenter d'une dĂ©claration d'intention oĂą il suffirait de (se) dire qu'il (m')est effectivement arrivĂ© ceci ou cela pour que la chose elle-mĂŞme soit intĂ©grĂ©e. La mise en route vers l'Ă©laboration de cette angoisse renvoie immĂ©diatement au contact avec la douleur. Pour le dire autrement, au moment prĂ©cis de l'entrĂ©e en psychothĂ©rapie, le sujet (ou le sujet-relation lorsqu'il s'agit d'un couple ou d'une famille) recontacte les zones de douleur, activĂ©es en fonction de certains Ă©vĂ©nements intĂ©riorisĂ©s, et dont jusqu'alors il s'est dĂ©brouillĂ© pour les tenir Ă  distance, les recouvrant dans leur Ă©mergence par des comportements symptomatiques. La visibilitĂ© de ces processus psychiques et relationnels, comme les comportements symptomatiques, vont pouvoir ĂŞtre accueillis avec la valeur qu'ils ont et resituĂ©s dans un contexte Ă©clairant leur sens ; pour autant, cela n'Ă©vite pas le travail autour de la douleur ou avec celle-ci, bien au contraire puisqu'il s'agira ultimement de l'aborder, de s'y confronter de manière pleine et d'en reconstruire quelque chose autrement... Faire croire l'inverse appartient Ă  la prestidigitation.

      Une autre mĂ©taphore du processus de la psychothĂ©rapie pourrait ĂŞtre la maison. La maison est lĂ , dĂ©jĂ  lĂ , mais bâtie de telle façon que l'eau rentre, ou le froid, ou qu'on n'y est pas bien dedans. Il s'agit de la "dĂ©construire", dĂ©faire les pierres, Ă  l'occasion une Ă  une, enlever les poutres, poser Ă  plat les matĂ©riaux. Puis de reconstruire, remonter les murs, avec les mĂŞmes pierres pour l'essentiel mais cette fois-ci bien ajustĂ©es, et remettre la toiture, bien en place. La maison peut remplir son office, ĂŞtre un lieu de repos oĂą l'on peut entrer et dont on peut sortir, un espace de crĂ©ation, suffisament solide et protectrice.

 

      La conduite de ce travail ou, si l'on prĂ©fère, l'entrĂ©e en psychothĂ©rapie pour le patient, le couple ou la famille, rĂ©clame deux aptitudes chez le praticien - deux aptitudes voire une double aptitude, tant elles sont liĂ©es.

      D'une part, la capacitĂ© Ă  supporter non mais l'angoisse, mais aussi la douleur de l'autre, spĂ©cifiquement le contact qu'a l'autre avec sa propre douleur (laisser l'autre vivre ce qu'il a Ă  vivre en lui portant attention, au sens littĂ©ral l'accompagner, position diffĂ©rente que de vouloir le faire changer, le soulager trop vite en l'amenant Ă  un prĂ©tendu niveau oĂą cela serait dĂ©jĂ  dĂ©passĂ©).

      D'autre part, toujours du cĂ´tĂ© du professionnel, la gestion de ses affects, c'est-Ă -dire ici la compĂ©tence interne Ă  faire face Ă  son propre sentiment douloureux et aux Ă©motions qui le caractĂ©risent, sans le dĂ©nier ou le projeter sur le patient. Pour accomplir le mĂ©tier qui est le sien, le psychothĂ©rapeute se doit d'avoir rĂ©alisĂ© lui-mĂŞme une psychothĂ©rapie et donc mis Ă  jour ses motions internes. De plus, une formation clinique suffisamment longue devrait permettre d'en utiliser certains aspects au cours de la conduite du travail auprès des patients. Il est toutefois vain, et sans doute dangereux, de penser que divers aspects de ces affects ne reviendraient pas titiller le professionnel, le provoquer par la manière d'ĂŞtre prĂ©sent, de parler et d'agir de l'une ou l'autre des personnes reçues. Cela fait partie intĂ©grante du travail, et mĂŞme le constitue. C'est le sens le plus profond qu'il y a Ă  la nĂ©cessitĂ© d'une supervision durable de sa pratique pour le psychothĂ©rapeute.

 

      C'est aussi sur ce plan que l'on peut concevoir l'un des points communs entre le patient et le thĂ©rapeute : l'un comme l'autre a quelque chose Ă  faire avec ces zones de douleur. Et peut-ĂŞtre, d'une façon diffĂ©renciĂ©e quoique spĂ©cifique, l'un et l'autre ont quelque chose Ă  s'amener sur ce plan.

 

      PassĂ©es ces premières Ă©tapes, qui parfois se transcrivent au cours de plusieurs tentatives, du temps diffĂ©rĂ©, la personne pourra s'engager dans ses propres reconstructions. A bien des moments, l'apprĂ©hension ou la peur sont susceptibles de revenir, l'incertitude et la dĂ©stabilisation face au changement aussi, c'est-Ă -dire face Ă  ce qui ne fonctionne plus et ce qui ne fonctionne pas encore. Cependant une expĂ©rience a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par le sujet : celle du regard intĂ©rieur et du contact avec sa propre douleur, et c'est bien alors de cette douleur, de sa traversĂ©e, du sentiment de fragilitĂ© mĂŞme qui peut la caractĂ©riser et de la vision de ce sentiment, que la personne engagĂ©e dans ce processus de redĂ©couverte de soi tire sa force. Si le doute est lĂ , il est devenu structurant, reprĂ©sentant du mouvement intĂ©rieur et de la capacitĂ© Ă  se situer dans les relations.

 

                                                                                        Olivier TRIOULLIER

 

 

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Paru dans Cahier Spirale n° 9, bulletin de l'Association Spirale, deuxième semestre 2009.

 

 

 

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